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lundi 30 janvier 2012

Chapitre 29 : Dans la grotte

Ses yeux s'ouvrirent sur une paroi rocheuse en face de lui où dansaient des ombres indéfinies. Ses muscles endoloris se rappelèrent d'abord à lui avant qu'il ne réalise à quel point sa position était inconfortable. Il était suspendu par les poignets et la corde qui le liait, accrochée au plafond au moyen d'une esse de métal, était si bien ajustée que toute tentative de sa part pour s'en défaire n'aurait pu que le meurtrir cruellement. Dénudé jusqu'à la ceinture, il sentait à quel point l'atmosphère du lieu était chaude et moite. Où était-il ? Dans une grotte, vraisemblablement. Hernaut, en un bref éclair de mémoire, revit la clairière et l'anneau de serpents qui les avaient retenus prisonniers, Colombe et lui. Et puis, plus rien... Il avait beau chercher, c'était le trou noir. Colombe, à propos, où était-elle ? Il se sentit submergé par une vague d'angoisse et de rage mêlée, et tira d'un coup sec sur ses liens, touchant de la pointe de ses bottes le sol dont il éprouva la dureté tandis qu'une douleur intense envahissait ses poignets, l'obligeant à accepter de nouveau la posture dans laquelle il se trouvait. Se détendre. Se détendre. A cette heure, il rêvait pourtant d'en découdre avec le responsable de son infortune mais, ignorant totalement à quoi il ressemblait, il lui prenait l'envie d'en découdre avec le monde entier, et une armée de mercenaires lui faisant barrage ne l'aurait même pas fait hésiter l'espace d'une seconde. Il essaya de baisser les yeux vers le sol, entrevit ses pieds, eut la présence d'esprit de vérifier à l'emplacement de la ceinture qui retenait ses braies : c'était donc cela ! Il s'était fait dépouiller, bien sur, et le parchemin lui avait été enlevé. Encore un coup des sbires du Pape, ce ne pouvait être que ça. Mais cette fois, ils étaient arrivés à leurs fins, et les écrits dissidents pour lesquels ils avaient mis en oeuvre tant de moyens étaient enfin entre leurs mains. Fini son rêve au cours duquel il se voyait remettre le document à son frère Eudes en recueillant de sa part tous les éloges auxquels la réussite de sa mission aurait du logiquement aboutir. Fini son espoir d'obtenir des terres, d'offrir à son aimée une situation digne d'elle. Il en aurait pleuré de frustration.

Alors qu'il se morfondait, attaché comme une vulgaire pièce de venaison, et que la corde lui mordait de plus en plus rudement les chairs, un pas se fit entendre sur la pierre qui formait le plancher de sa prison rocheuse. Il tourna légèrement la tête, devinant un homme qui s'approchait de lui. Et lorsqu'il le vit bien en face, campé solidement sur ses jambes, en train de le dévisager, il le reconnut alors, et sa stupéfaction fut à son comble. « Célinan! S'écria-t-il. Que fais-tu ici? Je te pensais revenu à Fiercastel? » Son vassal esquissa l'ombre d'un sourire, celui qu'il lui connaissait si bien, et qu'il interpréta alors comme une marque de sympathie à son égard. Hernaut l'encouragea : « Allez, tranche-moi ces liens, et filons tous deux hors de cet endroit lugubre. Il me faut retrouver Colombe puisque désormais elle m'accompagne... » Il ne put en dire plus. Le rictus de Célinan venait de s'épanouir en un rire franc qui résonnait étrangement dans la grotte. « Hernaut, quand comprendras-tu enfin que tu n'as pas d'ordres à me donner ? Finit par dire ce dernier. Le temps de mon allégeance est révolu. Je ne te dois plus rien. » Son interlocuteur saisit d'un coup. « Tu es passé de l'autre côté, c'est ça? » Dit-il, amer. « Oui, bien sur, lui fut-il répondu. Comment voulais-tu que je continue à attendre, et à me nourrir de tes promesses, alors que tu ne pensais qu'à une chose : conquérir cette jeune femme? Tes belles paroles à mon égard, Hernaut, c'était du vent, rien que du vent. Tout comme celles de ta famille, celles de ta mère, la comtesse Mathie, et de ton frère Eudes. Du vent, te dis-je. » Hernaut s'indigna : « Mais comment as-tu pu me trahir ainsi? As-tu si peu le sens de l'honneur? » En entendant cela, les yeux noirs de Célinan brillèrent d'une flamme intense et son visage buriné prit une expression tourmentée. « Lors de mon voyage de retour en direction des Ardennes, reprit-il, quand il advint que je fus contacté par un certain Anthèlme, dit le Noir, à la solde du Pape, je n'avais pas l'intention de t'abandonner, crois-moi. Ce n'est que lorsque je me fus rendu à Fiercastel et que j'obtins un entretien avec ton frère aîné que j'ai finalement compris que je n'avais plus rien à attendre ni de toi, ni de ta famille. A partir de là, la proposition du Noir m'est revenue à l'esprit, et j'ai accepté de travailler pour lui, en échange d'une baronnie qui me serait cédée sur les terres de l'Eglise. Mais ne va pas penser que ma décision fut si facile à prendre. J'ai passé tant d'années auprès de toi que tu étais pour moi comme un frère...
_ Un frère! L'interrompit Hernaut, n'y tenant plus. Tu oses m'appeler frère! Quel frère digne de ce nom accepterait de vendre un membre de sa famille pour obtenir quelques arpents de terre? » Célinan se rapprocha de lui jusqu'à ce qu'il sente son souffle tiède lui effleurer la joue. « Pense ce que tu veux, Hernaut. Je voulais juste que tu saches qu'il y avait un temps où je t'ai aimé. Mais ce temps est révolu, maintenant. Le Pape, à l'heure qu'il est, doit se réjouir à la lecture du pamphlet que le Noir lui a fait expressément parvenir, et moi je ne vais pas tarder à me retirer sur mes terres. » Tout en disant cela, il caressa rêveusement la joue d'Hernaut, lequel ne put alors réprimer un frisson de dégoût à ce simple contact. Célinan fit mine de partir. Le prisonnier réalisa qu'il allait de nouveau se retrouver seul, face à ses doutes et à ses interrogations. « Ne pars pas tout de suite! S'empressa-t-il de dire. Dis-moi où est Colombe, et si elle va bien. » Célinan se retourna tout de go. «  Colombe? Oh, tu n'as pas à te soucier pour elle. Le Noir la traite comme une reine. Je crois qu'il va négocier avec son père avant de la lui rendre, afin d'obtenir quelque dédommagement, si tu vois ce que je veux dire... » Hernaut tira un peu plus sur ses liens : « Tu finiras brûlé en enfer, Célinan.
_ J'aurais fini de cette manière, figure-toi. Alors, autant en profiter sur cette terre pour faire ce qui me chante. Tiens, justement, puisque tu m'as parlé de Colombe, pourquoi ne lui rendrai-je pas visite dès maintenant ? Elle est si belle... et on la dit toujours vierge. Il me prend soudain l'envie d'aller vérifier par moi-même. » Cette fois-ci, Hernaut réagit si vivement que, ruant sauvagement, un de ses pieds heurta Célinan au ventre avec violence, tandis que ses poignets se mettaient à saigner. « Tu n'es qu'un fils de catin! S'écria-t-il. Touche à un seul de ses cheveux et je te jure que je trouve le moyen de sortir d'ici, et tu comprendras alors que l'enfer existe aussi sur la terre. » Célinan fit une grimace de douleur, mais s'efforça de minimiser son mal. « L'ennui, avec toi, Hernaut, c'est que tu n'as jamais eu le sens de l'humour. » Et, sans plus attendre, il se détourna et quitta les lieux.

Le captif se retrouva de nouveau seul, et malgré la haine qu'il venait de se découvrir envers Célinan, il regrettait presque que celui-ci l'ait quitté aussi vite. Il avait tant de questions restées sans réponses : qu'étaient devenus ses frères ? Et quel sort lui réservait-on ? Et qui était Anthèlme le Noir? Quelle était la nature de sa magie ? Mais il n'eut pas à attendre longtemps pour obtenir certaines explications. Il sentit sans voir quoi que ce soit une présence à ses côtés, une sorte de vibration qui d'instinct, le mettait sur ses gardes, comme si un danger imminent le guettait. Un homme qu'il voyait pour la première fois apparut à ses yeux. Il était entièrement revêtu de noir, de la tête aux pieds, et son regard aussi obscur que la nuit était comme un puits insondable. Mis à part cela, il était d'une stature au dessus de la moyenne et avait des cheveux si longs qu'ils lui arrivaient jusqu'à la taille, aussi ténébreux que le reste de sa personne. Son visage aux traits lisses et impénétrables lui conférait une beauté presque parfaite, mais inquiétante dans sa perfection même. Devant le spectacle d'Hernaut, impuissant, mais qui par son attitude et la force de son regard laissait transparaître son esprit de révolte, il esquissa un semblant de sourire qui découvrit des dents blanches et sans défaut. «Pourquoi te tourmenter ainsi, Hernaut de Belombreuse ? J'ai obtenu de toi tout ce que je désirais. Bientôt viendra le temps de te relâcher. » Sa voix était grave, mais d'une douceur envoutante. Hernaut respira à fond, s'efforçant de se calmer. Au lieu de quoi, leur conversation risquait de virer en affrontement verbal, et il supposait que de cette manière il n'en tirerait au final aucune réponse aux questions qui le taraudaient. « Qui êtes-vous en réalité ? » Demanda-t-il, tout en devinant d'avance la réponse qu'il allait obtenir.
_ Anthèlme le Noir, celui que les villageois alentour nomment également le « sorcier noir ».
_ Et qu'allez-vous faire de la fille du Comte d'Aldobrandi ? » C'était la première de ses préoccupations. Et il voulait vérifier par lui-même si Célinan lui avait bien dit la vérité. « La rendre à son père, bien sur. Comme tu as été bien présomptueux de croire que celle-ci pouvait être ta possession. » Hernaut se concentra sur son souffle. Il mourrait d'envie de lui dire ses quatre vérités, à ce magicien de pacotille. Au lieu de cela, il poursuivit son interrogatoire : « Et pour les serpents, comment avez-vous fait ? » Le Noir sourit de plus belle : « Oh ! Cà ? Simple astuce d'un observateur de la nature : une poudre de ma composition, sorte d'aphrodisiaque pour serpents pour résumer, et ces charmants reptiles se rejoignent les uns les autres, formant un gigantesque anneau dans leur désir de copuler. L'imagination des spectateurs fait le reste... » Hernaut faillit hurler de rire : une partouze géante de reptiles, il fallait y penser. Il n'y avait vraiment rien de magique dans tout ça. C'était même, de son propre point de vue, complètement loufoque. Cette dernière pensée d'ailleurs, il ne put s'empêcher de la partager avec son interlocuteur. Le sorcier parut prendre la remarque pour une insulte, tant son regard se mit à flamboyer de colère contenue. «  Tu ignores, jeune homme, mis à part certains artifices, le véritable pouvoir de ma magie. Hernaut changea de sujet, il n' avait pas vraiment envie d'en savoir plus là-dessus. « Ainsi, vous avez soudoyé mon vassal Célinan et vous êtes tous les deux au service du Pape ? » Le Noir lui jeta un regard aussi insondable et vertigineux que le fond d'un gouffre. « En fait je ne suis au service de personne. Moine autrefois je fus, mais j'ai vite compris à quel point le ministère de Dieu sur la terre est corrompu, quelles que soient les époques et quels que soient ses représentants. Aussi préféré-je servir mes propres intérêts plutôt que ceux d'une poignée de nantis situés au sommet de l'échelle.
_ Alors, laissez Colombe en dehors de tout ça, reprit Hernaut. Et accordez-moi de la libérer en même temps que moi. Si ce sont des biens que vous désirez, je m'engage à vous en fournir par l'intermédiaire de mes frères. Le Comté de Belombreuse est suffisamment riche pour cela.
_ Ah ! Que n'est-on pas prêts à dire et à faire par amour ? Je suis désolé de défaire un si beau couple, mais je dois t'avouer que les garanties du Pape me semblent considérablement plus solides que celles d'un jeune seigneur qui coure les routes sans une once d'or sur lui. »

Hernaut mesura soudain son impuissance. Après tout ce qu'il avait vécu, tout ce qu'il avait sacrifié pour conquérir Colombe, et alors même qu'il était parvenu à ses fins, voici que tout s'écroulait à nouveau. Si Anthèlme le Noir la remettait entre les mains de son père, il aurait passé des mois à se battre pour rien. « Mon frère Eudes paiera le prix qu'il faut. » Dit-il dans une dernière tentative désespérée. Le Noir le dévisagea un instant avant de répondre avec une indifférence glacée : « J'ai horreur de me répéter. Le soleil ne va pas tarder à se coucher. Il reste en moi suffisamment de commisération pour que je ne te livre pas aux dangers de la nuit en forêt. Aussi te relâcherai-je demain à l'aube, et tu auras même droit à une monture et à la restitution de tes armes. Mais que je ne te revois plus jamais après ça. Suis-je assez clair ? »

Hernaut s'apprêtait à protester quand il perçut une ombre qui, projetée par la lumière d'une torche posée sur un des murs contigus, apparaissait soudain dans le dos de son ravisseur. Il n'eut pas le temps de réfléchir à ce qui se passait qu'il entendit le sifflement de la lame dans l'air humide de la grotte, et vit nettement la tête du Noir se détacher de son corps tandis qu'il sentait un sang encore chaud lui asperger le visage. Son estomac se révulsa, tous les muscles de son corps se rétractèrent dans un mouvement de dégoût et de panique. Mais la morsure de la corde sur ses poignets se fit plus douloureuse encore. C'est alors qu'il vit celui qui avait manié l'épée. Ascelin lui apparut, tenant des deux mains Divine ensanglantée. Comme dans un rêve, son jeune frère, surgi d'on ne sait où, venait par miracle de mettre fin aux jours du pseudo-magicien. Ascelin trancha habilement les liens qui le retenaient, et les pieds du prisonnier heurtèrent le sol durement, tandis qu'il se débarrassait des lambeaux de corde d'un revers de la main. Hernaut serra son frère dans ses bras comme jamais il ne l'avait fait, le souillant à son tour du même sang dont il était couvert. « Par quel prodige es-tu ici, petit frère ? Questionna-t-il sans le lâcher. Et comment m'as-tu trouvé ? » Ascelin le repoussa doucement : « Ce n'est pas le temps pour les questions, Hernaut. Il nous faut sortir d'ici de toute urgence. Je t'expliquerai tout lorsque nous serons loin. » Hernaut acquiesça, et suivit son jeune frère sans rien ajouter de plus. Ils empruntèrent une sorte de boyau bas, qui les obligea à courber l'échine pour progresser. « Colombe ! » Ne put s'empêcher de s'exclamer Hernaut, rompant soudainement le silence. Ascelin, sans cesser d'avancer, le questionna : Colombe ? La jeune fille que tu as eu la bonne idée de kidnapper ? Avant même que son frère n'ait eu le temps de lui fournir des explications, les deux hommes accédèrent à une salle voûtée, plus haute de plafond, mais dont l'atmosphère était toujours aussi étouffante. Ils se redressèrent tous deux et Hernaut fit face à son frère, bien décidé à le rallier à sa cause. « Quand tu connaîtras Colombe, tu comprendras pourquoi j'ai agi de la sorte, et... » Ascelin l'interrompit : « Je sais. Célinan nous a expliqué tout ce qui s'était passé dans la ville italienne durant votre séjour. Elle est la fille du Comte d'Aldobrandi Lombardo, ça, je le sais aussi. J'ai retrouvé le village où vous aviez fait halte ton page et toi, et je suis tombé sur ce dernier qui ameutait toute la population pour venir se porter à ton aide. D'où ma présence en ces lieux. As-tu une idée de l'endroit où elle peut être retenue prisonnière ?
_ Seul le sorcier que tu viens de trucider devant moi aurait pu nous le dire. Mais maintenant il nous faut la retrouver par nous mêmes avant de partir d'ici. Quant à Célinan...  : lui aussi est actuellement présent dans l'enceinte de cette grotte, et ce n'est qu'un traitre. Il s'est mis au service des hommes du Pape, et c'est grâce à sa collaboration que j'ai été capturé et que l'on m'a dérobé le parchemin.
_ Tu veux dire que... tu ne l'as plus en ta possession ? » Là, Ascelin réalisait que tout ce qu'ils avaient échafaudé, ses frères et lui, venait subitement de tomber à l'eau. Hernaut avait représenté leur seul espoir depuis qu'ils étaient parti de Fiercastel. Et maintenant, il ne restait vraiment plus rien. « Il y a de fortes chances qu'à cette heure, ce soit le Pape lui-même qui l'ait entre les mains. » Tint à préciser Hernaut, l'air désolé. « Mais vas-tu m'aider pour le moment à délivrer Colombe ? » Ascelin, se reprenant, affermit de ses deux mains sa prise sur la garde de son épée avant de répondre : « Alors, ne perdons pas de temps, mon frère. »

Et ils reprirent leur cheminement dans les méandres de la grotte. Des salles et d'étroits couloirs se succédèrent les uns après les autres. Ascelin finit par reconnaître certains endroits par lesquels il était déjà passé. Une pièce dans laquelle gisait une multitude d'éclats de verre lui permit de faire comprendre à Hernaut qu'Anthèlme le Noir usait de divers subterfuges pour dérouter les intrus : ici, en l'occurrence, il s'agissait d'un jeu de miroirs qu'il avait lui-même brisés en arrivant, détruisant le charme artificiel qui aurait pu en dérouter plus d'un. Puis, dans une autre salle, ils virent tout une série de silhouettes découpées dans des planches en bois, qui reproduisaient des formes monstrueuses et diaboliques. Celles-ci, judicieusement placées devant quelque source de lumière, produisaient des ombres maléfiques destinées à effrayer les indésirables. Ascelin, à l'aller, avait su déjouer tous ces pièges, riche des enseignements que les deux guérisseuses lui avaient prodiguées avant qu'il ne les quitte.

Lorsqu'il leur parut évident qu'ils avaient passé au peigne fin les moindres recoins de la grotte et qu'il n'y avait nulle trace de la jeune fille ni de Célinan, malgré les réticences d'Hernaut, ils se virent bien obligés d'en conclure que ceux-ci s'étaient bel et bien envolés, et ils dirigèrent leurs pas vers la lumière du jour. Quand ils entrevirent enfin le soleil, celui-ci était en passe d'achever sa course. De nouveau à l'air libre, Hernaut prit une longue bouffée avant de s'adresser à son jeune frère :« Quelque chose m'intrigue néanmoins. Tu m'as affirmé tout à l'heure que tu avais retrouvé le village où nous avions séjourné la veille Colin et moi ? Est-ce pur hasard, ou bien quelque chose t'as-t'il mis sur la piste ? » Ascelin, au lieu de lui répondre, émit un bref sifflement. Celui-ci provoqua l'arrivée dans un vol gracieux et planant d'un faucon qui atterrit aussitôt sur la main gantée de cuir de son maître. «  C'est grâce à lui, consentit alors à répondre le jeune homme. Il m'a servi de guide pour retrouver l'antre du Noir.
_ Crois-tu vraiment que c'est le moment de te moquer de moi ? » Rétorqua Hernaut, qui ne comprenait pas un traitre mot de ce que lui racontait son frère cadet. Leur conversation fut interrompue par l'arrivée d'un petit groupe d'hommes et de chevaux. « Hernaut, eut encore le temps de dire Ascelin, je te promets que je t'expliquerai tout en détail dès que nous en aurons le loisir. » En face d'eux, Colin, l'Ours et les deux pages venaient à leur rencontre. Hernaut reconnut sans peine le chevalier qu'il avait eu comme compagnon d'armes durant son séjour en Orient. Ils tombèrent dans les bras l'un de l'autre, et l'Ours, se défaisant de son manteau, en couvrit les épaules du jeune seigneur, tout juste reconnaissable car maculé de sang, de sueur et de poussière. Ascelin entreprit de raconter en quelques mots à l'Ours et aux trois adolescents ce qui c'était passé dans la grotte. Quand il mentionna les noms de Colombe et de Célinan, la Belette s'écria : « Messire, en arrivant ici je viens de voir un cavalier s'éloigner dans le bois en direction du couchant, et il m'a semblé qu'il y avait une femme avec lui. » Ascelin, entendant cela, sauta en selle. L'Ours fit de même, aussitôt après avoir remis les rênes de la monture de Mordrain entre les mains d'Hernaut. Quelques secondes plus tard, ils pistaient le fuyard et sa victime, tout en s'éloignant du bois des Anges Déchus et du repaire d'Anthèlme le Noir. Malgré la mort de ce dernier, des légendes continueraient à circuler à son sujet, et plus d'un voyageur détournerait son chemin, craignant des années encore les maléfices que la mémoire des hommes se complaisent à rapporter.
                                                    

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