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dimanche 13 mai 2012

Chapitre 33 : Départs et projets




C'était un petit matin d'été ardennais tout envahi de rosée et de fraîcheur et la forêt profonde résonnait de chants d'oiseaux qui retombaient en cascades jusqu'au pied des hêtres moussus de la forêt d'origine. Eudes négociait depuis quelque temps déjà avec le plus jeune de ses frères, Ascelin, lequel avait fait seller par La Belette trois robustes montures équipées de tout l'attirail dont ils avaient besoin pour mener une nouvelle expédition.


« Croix-moi, Eudes, disait Ascelin. La jeune femme à laquelle tu me proposes de lier mon nom et celui de notre famille ne manque pas d'attrait à mes yeux. Mais j'ai beaucoup réfléchi à tout cela et je ne pense pas être encore mur pour cette union. Des chemins nous attendent quelque part, La Belette et moi-même. Nous devons répondre à leur appel, tel est notre destin. »

_ Dommage, rétorqua Eudes, dubitatif. J'ai cru un instant que j'avais trouvé vraiment la personne qu'il te fallait. Te rends-tu compte au moins de ce que tout ton refus implique à long terme ?
_ Je sais, répondit Ascelin en prenant une mine boudeuse d'enfant têtu, comme par hasard étrangement semblable à celle que son futur écuyer savait si bien prendre, lui. La recherche presque impossible de quelques arpents de terre à cultiver et à protéger des brigands pour me constituer un petit domaine ou bien la vie errante du chevalier qui cherche aventure sur les routes. »
« Je vois que tu es conscient du problème. Jeune fou comme d'habitude, mais conscient quand même. Enfin, si tel est ton choix.... »

Leur conversation fut interrompue subitement par l'arrivée subite de Mordrain, lui aussi équipé pour faire la route, et flanqué du moine milanais qu'apparemment il avait décidé d'accompagner.


« Toi aussi Mordrain, tu as décidé de partir à l'aventure ? » demanda Eudes, à peine étonné. «  Je pensais que tu avais trouvé enfin la personne qui te retiendrait sur nos terres », faisant par -là allusion à Claire, laquelle s'était installée au couvent des moniales situé un peu en amont de Fiercastel, et qui avait été chargée de veiller sur le manuscrit et ses copies. »

« Claire m'a confiée la délicate mission de raccompagner le prêtre ici présent jusqu'à Milan, » s'expliqua Mordrain. « Je suis toujours son serviteur dévoué », ajouta-t-il en désignant le ruban mauve qui ornait toujours son bras droit. « Et sur le chemin du retour, j'irai déposer quelques copies au sein du réseau des frères illuminés... « Je sais tout cela, » coupa Eudes, qui pour tout dire était avec la Comtesse Mathie à l'origine de cette idée.  « Vous allez donc voyager de concert, Ascelin et toi ?
_Bien sur, Seigneur Eudes. Mordrain fit glisser la lame de son épée de son baudrier comme pour confirmer ses dires. Puis il la rangea de nouveau.


                  


samedi 12 mai 2012

Chapitre 32 : Le mariage


Colombe se tourna légèrement sur le côté, regardant une fois de plus son reflet dans le miroir de métal qui, aussi haut qu'elle, lui renvoyait une image approximative d'elle même, mais suffisante pour qu'elle se fasse une idée de son allure princière. La robe qu'elle avait revêtue pour le mariage mettait en valeur ses formes gracieuses, et son décolleté laissait voir juste ce qu'il fallait de sa superbe poitrine. Sa camérière avait fixé sur ses cheveux sombres un voile vert pâle d'une finesse extrême, retenu par quelques fleurs de fils d'or fin, et ces mêmes fleurs, comme si elle les avaient reçues en pluie, venaient parsemer son bliaut d'un vert plus soutenu jusque sur ses longues manches évasées. Ainsi habillée, elle n'était qu'un tourbillon de soies et de mousselines vertes et or. « Cela plaira surement à Hernaut », songea-t-elle. La servante l'aspergea de quelques gouttes de parfum sur le revers de ses poignets, le lobe de ses oreilles et la naissance de ses seins, touche finale à un tableau destiné à faire étalage de sa beauté et de sa haute naissance. La fragrance qui envahit soudain l'espace de la tente faisait penser à des contrées mystérieuses et lointaines. Rien d'étonnant à cela : les essences dont elle se paraît lui avaient été offertes par Eudes, qui les avait ramenées du lointain Orient. Elle n'avait qu'à se louer de la gentillesse et des attentions que les frères d'Hernaut avaient eu pour elle. Ils se ressemblaient tous tellement. Elle était consciente des efforts qu'ils faisaient pour lui faire oublier ses mésaventures des dernières semaines ainsi que son exil forcé. Mais, jusqu'à avant-hier, elle s'était sentie comme perdue au milieu de ce monde si nouveau pour elle, dans cette contrée où rien à priori ne lui rappelait sa chère ville de Milan, au milieu de tous ces visages dont la plupart lui étaient encore inconnus.

Et puis la Comtesse d'Aldobrandi avait eu l'heureuse idée de débarquer entre ces murs trop sombres à son goût, sous ce soleil dont l'éclat paraissait terni pour des yeux habitués à l'ardeur des étés méditerranéens. Elle avait amené avec elle une poignée de gens au service de l'immense maison des Lambardi. Et la langue italienne avait de nouveau résonné à ses oreilles, pour son plus grand plaisir, lui faisant retrouver les accents familiers, lui contant les derniers ragots qui avaient actuellement cours dans sa patrie. Le voyage de la Comtesse s'était fort bien déroulé. Elle avait obtenu de son époux, allez savoir comment, non seulement une escorte de quelques chevaliers lombards lourdement armés pour mener à bien son périple, mais également le pardon pour sa fille de la part de son père. Il s'était en quelque sorte rangé à l'idée de ce mariage, à condition que sa femme négocie en sa faveur auprès des Belombreuse un certain nombre d'avantages en nature. Dans ses bagages, la Comtesse avait bien sur ramené divers trésors de sa région d'origine : bijoux, étoffes précieuses, capiteux parfums, bref de quoi faire du mariage de sa fille une cérémonie somptueuse. Même quelques domestiques faisaient partie du lot, dont la camérière qui l'assistait présentement.

Colombe jeta un coup d'oeil au lourd manteau bordé d'hermine que lui tendait cette dernière. Fallait-il s'affubler d'un tel fardeau supplémentaire ? Après tout, elle se trouvait déjà suffisamment bien comme ça. Et puis, même s'il n'avait pas de manches, on était en été. Aucune comparaison avec les touffeurs du sud bien sur, mais la journée s'annonçait belle et ensoleillée. La jeune italienne qui la secondait insista devant son hésitation : elles en avaient déjà parlé auparavant. Ici, c'était la coutume. L'étalage de fourrures était une marque de puissance et de richesse. Elle se devait de passer cette pelisse par dessus ses superbes atours. Elle s'exécuta, se consolant en pensant à son futur mari qui, tout comme elle, devrait se plier à cet usage, et elle se l'imaginait déjà en train de suer à grosses gouttes durant la cérémonie : charmant tableau !

Et pour ce qui était d'Hernaut, elle était proche de la vérité. Celui-ci, quelques tentes plus loin, venait de mettre un point final à sa tenue en se coiffant d'un chapeau orné de plumes blanches, et il avait lui aussi endossé le manteau d'hermine sans se préoccuper du temps qu'il ferait. Canicule ou pas, il savait tenir son rang, et entendait bien se montrer comme l'un des héritiers d'un des comtés les plus en vue du royaume franc. D'ailleurs, il avait pour le moment d'autres préoccupations. Il s'était préparé pour la cérémonie en compagnie de son écuyer enfin retrouvé : en effet, Colin était miraculeusement réapparu, faisant partie de l'escorte de la Comtesse.

Pour dire la vérité, lorsque son maître lui avait ordonné de retourner au village afin de chercher de l'aide, le jeune homme n'avait réussi à convaincre personne, tellement les habitants de la région prenaient au sérieux les menaces qu'étaient censées représenter Anthèlme le Noir. Alors, il avait pris la décision de revenir seul sur ses pas, et de faire tout son possible pour tirer d'affaire son Seigneur et sa belle. Mais l'antre du Noir était déjà désertée depuis longtemps et, après être tombé sur le corps décapité du sorcier, il quitta les lieux, à la recherche de traces éventuelles. Ce fut à proximité de la grotte qu'il découvrit, au milieu d'un fouillis d'empreintes gravées dans le sol mou, l'indice du passage d'Hernaut, ou tout du moins de son cheval, dont il savait que l'un des antérieurs droits avait perdu la ferrure. Ce simple détail lui permit de suivre la piste de l'animal jusqu'au delà du Rhône. A partir de là, il en perdit la trace, et erra quelques jours durant dans une ville inconnue, hésitant à poursuivre son chemin en direction du nord. Puis il finit par opter pour un retour à Milan. Et ce fut sur ce chemin de retour, bien avant de rejoindre l'Italie, qu'il rencontra la Comtesse et son escorte. Cette dernière l'informa que sa fille était bien arrivée à destination, et que le mariage allait finalement avoir lieu. Aussi Colin se joignit-il à leur troupe, et c'est de cette manière qu'il retrouva Hernaut, et découvrit à son tour ces horizons aux limites du royaume.

Quelques secondes auparavant, dans la tente qui avait été dressée spécialement pour les préparatifs du mariage,car à cette époque peu d'églises avaient été encore bâties et les cérémonies nuptiales se déroulaient pour la plupart en plein air, les rires de toute cette jeunesse se faisaient entendre à travers la campagne.

vendredi 11 mai 2012

Chapitre 31 : Conseil de famille


La Comtesse Mathie lança à son fils Eudes un pâle sourire, ce qui le frappa aussitôt : c'était le premier, d'après son souvenir, qu'elle lui accordait depuis qu'il était rentré à Fiercastel. Il l'attribua à la présence de ses trois autres fils, lesquels, tout juste la veille, venaient de franchir de nouveau les remparts de la forteresse familiale. Après tout, elle avait bien le droit de se réjouir, puisqu'elle avait retrouvé indemnes tous ses garçons revenus vivants de la croisade. Mais Eudes, lui, se refusait à la suivre sur le chemin d'un bonheur aussi simple. C'était son caractère qui voulait cela : il était un battant, il lui fallait relever chaque fois de nouveaux défis, et l'échec de l'affaire des parchemins lui restait encore en travers de la gorge.

Quelques minutes auparavant, dans cette salle au plafond si haut de la tour des Soupirs qu'elle vous donnait une sensation d'écrasement, il avait partagé avec les membres présents de sa famille son sentiment en la matière. Mais maintenant, à quoi bon ? L'un des parchemins avait rejoint définitivement le Saint Siège, et il y resterait désormais à l'abri durant les siècles à venir. Ce n'était surement pas le Pape qui allait l'exhiber aux yeux de tout un chacun.

Mathie, une fois son fugace sourire disparu, lui jeta un regard de ses yeux bleus et froids et, se penchant légèrement depuis sa haute cathèdre ouvragée, lui murmura quelques mots à l'oreille : « Alors, Eudes, il est temps de t'occuper des affaires de famille...
_ Ah ! Oui. Bien sur. »

Les sujets qu'il allait aborder avaient été préalablement longuement disputés entre sa mère et lui depuis plusieurs jours déjà, et beaucoup de détails avaient été réglés par cette chef de clan qui, par longue habitude, se montrait prévoyante et ne se laissait que rarement prendre en défaut. Mais elle laissait à son fils aîné le soin de communiquer à sa place, ce qui donnait l'illusion que c'était lui commandait en tout. Eudes s'éclaircit la voix avant de commencer :

« Que ce que je vous ai dit à l'instant même ne gâche en aucun cas les réjouissances à venir. Nous allons bien sur célébrer les noces d'Hernaut et de Colombe. Une missive m'est arrivée pas plus tard qu'hier, m'annonçant que la mère de cette jeune fille, partie depuis quelque temps déjà sur les routes de France, est bien en route pour Fiercastel. Elle arrivera ici dans moins d'une semaine, je suppose. Cette femme, que je soupçonne être une femme de tête, a finalement réussi à convaincre son Comte de mari que c'était la meilleure des solutions pour sa fille. Et celui-ci a consenti à deux choses : à lui fournir une escorte armée pour se rendre jusqu'à nous, et à négocier un échange de terres biens. Sous réserve bien sur que la nature de ceux-ci soit approuvée par son époux.
_ La connaissant, fit remarquer Hernaut, dont la voix claire et agréable résonna dans l'immensité de la pièce, je me doutais qu'elle parviendrait à ce genre d'accord. » Eudes approuva d'un léger hochement de tête avant de reprendre à l'intention de l'intervenant : « Donc le jour de tes noces sera fixé définitivement dès que la Comtesse sera parmi nous. Comme celles-ci auront lieu sans tarder, nous commencerons les préparatifs dès aujourd'hui. »

Au dehors, l'été s'était installé, et un air bienfaisant pénétrait par les hautes fenêtres qui ajouraient la tour. Il venait soulever légèrement les tentures brunes et rouges. Un impressionnant silence venait de s'installer, pendant que Eudes en profitait pour se désaltérer dans une des coupes en étain emplies de vin coupé d'eau que les serviteurs avaient déposé sur une table à leur intention. Puis, il reprit : «  Mais nous allons ensuite en profiter pour prolonger la fête, puisque, et il se tourna alors vers Ascelin, sagement assis sur sa gauche, notre frère cadet a lui aussi désormais une promise. »

A ces mots, l'assistance se mit à proférer de toutes parts des mots de félicitations.
« Oui, Ascelin ici présent doit épouser une de nos cousines, Marie, l'une des trois filles du Comte de Flandre et de Hainaut, ce qui permettrait de ne pas morceler le domaine familial déjà plus que tronqué, puisqu'elle apporterait à Ascelin pas mal d'arpents de terre en limite de Belombreuse, en échange de quoi je verserai une partie du trésor de guerre que j'ai ramené avec moi. Nous pourrions célébrer leurs fiançailles quelques jours après l'union d'Hernaut et de Colombe. »

Là, sur un signe, Eudes leur fit comprendre à tous qu'il en avait fini pour aujourd'hui. Et tandis que toute la famille se levait pour entourer bruyamment les deux frères dont le destin marital était désormais scellé, lui se mit un peu à l'écart de toute cette liesse pour méditer un peu. Guilhem avait déjà récupéré une partie des terres à son profit, il faudrait décider avec leur mère quelle part reviendrait maintenant à Hernaut. Heureusement qu'il avait trouvé une autre solution pour Ascelin, car le domaine d'origine du Comte Haimon risquait de se réduire comme peau de chagrin. C'était le problème des familles dotées de plusieurs héritiers mâles qui surgissait là. Eudes savait que certains clans le résolvaient en envoyant leurs fils comme chevaliers errants à la recherche de la fortune ou d'un autre destin sur les routes du royaume, mais là, ce n'était pas le cas.

Eudes alla jusqu'aux lourdes portes de chêne qui scellaient la pièce et en poussa les battants. Il n'eut pas à attendre bien longtemps. Deux superbes jumeaux, garçon et fille, de moins de dix ans, rivèrent sur lui leurs yeux noirs et inquisiteurs avant de se précipiter dans ses bras en ayant déchiffré son humeur du moment. Eudes fit décoller la fillette du sol en leur confirmant à tous deux que la réunion était finie, tandis que la mère arrivait d'un pas lent, femme au regard charbonneux et à la charpente impressionnante. Elle était accompagnée d'une jeune beauté aux longues tresses châtaigne et au timide regard vert comme la mousse des bois. Celle-ci était l'épousée de Guilhem, vers lequel elle se dirigea sans attendre, se laissant alors enlacer tendrement par ce dernier.

Lorsque tous les participants se furent évanouis, Eudes ayant congédié sa femme et ses enfants, il se retrouva seul en présence de sa mère. Un conseil de famille restreint, avec pour seuls participants les quatre frères ainsi que leur mère devait se tenir céans. Celui-ci eut lieu dans l'immense tour des Soupirs, au milieu des vents de l'été naissant.

La Comtesse d'Aldobrando Lambardi avait été précédée du prêtre milanais auquel Arnaud avait confié l'un des exemplaires du rouleau de parchemin. Celui-ci venait justement de remettre à Eudes l'unique qu'il avait avec beaucoup de bon sens conservé pour l'acheminer jusqu'à Belombreuse dans le plus grand des secrets ; en échange de quoi le Pape, ô ironie du sort, n'avait eu qu'un parchemin traitant seulement d'un texte de Saint Augustin qui n'avait rien à voir avec ce que le pape attendait. Allez, avouons-le maintenant, le prêtre milanais avait des accointances certaines avec la branche anti-pape des Illuminés.

Et c'est avec cette bonne nouvelle que débutèrent les noces entre Blanche et Arnaud, et elles furent mémorables. Eudes estimait qu'ils avaient finalement gagné une bataille.