Colombe
se tourna légèrement sur le côté, regardant une fois de plus son
reflet dans le miroir de métal qui, aussi haut qu'elle, lui
renvoyait une image approximative d'elle même, mais suffisante pour
qu'elle se fasse une idée de son allure princière. La robe qu'elle
avait revêtue pour le mariage mettait en valeur ses formes
gracieuses, et son décolleté laissait voir juste ce qu'il fallait
de sa superbe poitrine. Sa camérière avait fixé sur ses cheveux
sombres un voile vert pâle d'une finesse extrême, retenu par
quelques fleurs de fils d'or fin, et ces mêmes fleurs, comme si elle
les avaient reçues en pluie, venaient parsemer son bliaut d'un vert
plus soutenu jusque sur ses longues manches évasées. Ainsi
habillée, elle n'était qu'un tourbillon de soies et de mousselines
vertes et or. « Cela plaira surement à Hernaut »,
songea-t-elle. La servante l'aspergea de quelques gouttes de parfum
sur le revers de ses poignets, le lobe de ses oreilles et la
naissance de ses seins, touche finale à un tableau destiné à faire
étalage de sa beauté et de sa haute naissance. La fragrance qui
envahit soudain l'espace de la tente faisait penser à des contrées
mystérieuses et lointaines. Rien d'étonnant à cela : les
essences dont elle se paraît lui avaient été offertes par Eudes,
qui les avait ramenées du lointain Orient. Elle n'avait qu'à se
louer de la gentillesse et des attentions que les frères d'Hernaut
avaient eu pour elle. Ils se ressemblaient tous tellement. Elle était
consciente des efforts qu'ils faisaient pour lui faire oublier ses
mésaventures des dernières semaines ainsi que son exil forcé.
Mais, jusqu'à avant-hier, elle s'était sentie comme perdue au
milieu de ce monde si nouveau pour elle, dans cette contrée où rien
à priori ne lui rappelait sa chère ville de Milan, au milieu de
tous ces visages dont la plupart lui étaient encore inconnus.
Et
puis la Comtesse d'Aldobrandi avait eu l'heureuse idée de débarquer
entre ces murs trop sombres à son goût, sous ce soleil dont l'éclat
paraissait terni pour des yeux habitués à l'ardeur des étés
méditerranéens. Elle avait amené avec elle une poignée de gens au
service de l'immense maison des Lambardi. Et la langue italienne
avait de nouveau résonné à ses oreilles, pour son plus grand
plaisir, lui faisant retrouver les accents familiers, lui contant les
derniers ragots qui avaient actuellement cours dans sa patrie. Le
voyage de la Comtesse s'était fort bien déroulé. Elle avait obtenu
de son époux, allez savoir comment, non seulement une escorte de
quelques chevaliers lombards lourdement armés pour mener à bien son
périple, mais également le pardon pour sa fille de la part de son
père. Il s'était en quelque sorte rangé à l'idée de ce mariage,
à condition que sa femme négocie en sa faveur auprès des
Belombreuse un certain nombre d'avantages en nature. Dans ses
bagages, la Comtesse avait bien sur ramené divers trésors de sa
région d'origine : bijoux, étoffes précieuses, capiteux
parfums, bref de quoi faire du mariage de sa fille une cérémonie
somptueuse. Même quelques domestiques faisaient partie du lot, dont
la camérière qui l'assistait présentement.
Colombe
jeta un coup d'oeil au lourd manteau bordé d'hermine que lui tendait
cette dernière. Fallait-il s'affubler d'un tel fardeau
supplémentaire ? Après tout, elle se trouvait déjà
suffisamment bien comme ça. Et puis, même s'il n'avait pas de
manches, on était en été. Aucune comparaison avec les touffeurs du
sud bien sur, mais la journée s'annonçait belle et ensoleillée. La
jeune italienne qui la secondait insista devant son hésitation :
elles en avaient déjà parlé auparavant. Ici, c'était la coutume.
L'étalage de fourrures était une marque de puissance et de
richesse. Elle se devait de passer cette pelisse par dessus ses
superbes atours. Elle s'exécuta, se consolant en pensant à son
futur mari qui, tout comme elle, devrait se plier à cet usage, et
elle se l'imaginait déjà en train de suer à grosses gouttes durant
la cérémonie : charmant tableau !
Et
pour ce qui était d'Hernaut, elle était proche de la vérité.
Celui-ci, quelques tentes plus loin, venait de mettre un point final
à sa tenue en se coiffant d'un chapeau orné de plumes blanches, et
il avait lui aussi endossé le manteau d'hermine sans se préoccuper
du temps qu'il ferait. Canicule ou pas, il savait tenir son rang, et
entendait bien se montrer comme l'un des héritiers d'un des comtés
les plus en vue du royaume franc. D'ailleurs, il avait pour le
moment d'autres préoccupations. Il s'était préparé pour la
cérémonie en compagnie de son écuyer enfin retrouvé : en
effet, Colin était miraculeusement réapparu, faisant partie de
l'escorte de la Comtesse.
Pour
dire la vérité, lorsque son maître lui avait ordonné de retourner
au village afin de chercher de l'aide, le jeune homme n'avait réussi
à convaincre personne, tellement les habitants de la région
prenaient au sérieux les menaces qu'étaient censées représenter
Anthèlme le Noir. Alors, il avait pris la décision de revenir seul
sur ses pas, et de faire tout son possible pour tirer d'affaire son
Seigneur et sa belle. Mais l'antre du Noir était déjà désertée
depuis longtemps et, après être tombé sur le corps décapité du
sorcier, il quitta les lieux, à la recherche de traces éventuelles.
Ce fut à proximité de la grotte qu'il découvrit, au milieu d'un
fouillis d'empreintes gravées dans le sol mou, l'indice du passage
d'Hernaut, ou tout du moins de son cheval, dont il savait que l'un
des antérieurs droits avait perdu la ferrure. Ce simple détail lui
permit de suivre la piste de l'animal jusqu'au delà du Rhône. A
partir de là, il en perdit la trace, et erra quelques jours durant
dans une ville inconnue, hésitant à poursuivre son chemin en
direction du nord. Puis il finit par opter pour un retour à Milan.
Et ce fut sur ce chemin de retour, bien avant de rejoindre l'Italie,
qu'il rencontra la Comtesse et son escorte. Cette dernière l'informa
que sa fille était bien arrivée à destination, et que le mariage
allait finalement avoir lieu. Aussi Colin se joignit-il à leur
troupe, et c'est de cette manière qu'il retrouva Hernaut, et
découvrit à son tour ces horizons aux limites du royaume.
Quelques
secondes auparavant, dans la tente qui avait été dressée
spécialement pour les préparatifs du mariage,car à cette époque peu d'églises avaient été encore bâties et les cérémonies nuptiales se déroulaient pour la plupart en plein air, les rires de toute cette jeunesse se faisaient entendre à travers la campagne.
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