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samedi 12 mai 2012

Chapitre 32 : Le mariage


Colombe se tourna légèrement sur le côté, regardant une fois de plus son reflet dans le miroir de métal qui, aussi haut qu'elle, lui renvoyait une image approximative d'elle même, mais suffisante pour qu'elle se fasse une idée de son allure princière. La robe qu'elle avait revêtue pour le mariage mettait en valeur ses formes gracieuses, et son décolleté laissait voir juste ce qu'il fallait de sa superbe poitrine. Sa camérière avait fixé sur ses cheveux sombres un voile vert pâle d'une finesse extrême, retenu par quelques fleurs de fils d'or fin, et ces mêmes fleurs, comme si elle les avaient reçues en pluie, venaient parsemer son bliaut d'un vert plus soutenu jusque sur ses longues manches évasées. Ainsi habillée, elle n'était qu'un tourbillon de soies et de mousselines vertes et or. « Cela plaira surement à Hernaut », songea-t-elle. La servante l'aspergea de quelques gouttes de parfum sur le revers de ses poignets, le lobe de ses oreilles et la naissance de ses seins, touche finale à un tableau destiné à faire étalage de sa beauté et de sa haute naissance. La fragrance qui envahit soudain l'espace de la tente faisait penser à des contrées mystérieuses et lointaines. Rien d'étonnant à cela : les essences dont elle se paraît lui avaient été offertes par Eudes, qui les avait ramenées du lointain Orient. Elle n'avait qu'à se louer de la gentillesse et des attentions que les frères d'Hernaut avaient eu pour elle. Ils se ressemblaient tous tellement. Elle était consciente des efforts qu'ils faisaient pour lui faire oublier ses mésaventures des dernières semaines ainsi que son exil forcé. Mais, jusqu'à avant-hier, elle s'était sentie comme perdue au milieu de ce monde si nouveau pour elle, dans cette contrée où rien à priori ne lui rappelait sa chère ville de Milan, au milieu de tous ces visages dont la plupart lui étaient encore inconnus.

Et puis la Comtesse d'Aldobrandi avait eu l'heureuse idée de débarquer entre ces murs trop sombres à son goût, sous ce soleil dont l'éclat paraissait terni pour des yeux habitués à l'ardeur des étés méditerranéens. Elle avait amené avec elle une poignée de gens au service de l'immense maison des Lambardi. Et la langue italienne avait de nouveau résonné à ses oreilles, pour son plus grand plaisir, lui faisant retrouver les accents familiers, lui contant les derniers ragots qui avaient actuellement cours dans sa patrie. Le voyage de la Comtesse s'était fort bien déroulé. Elle avait obtenu de son époux, allez savoir comment, non seulement une escorte de quelques chevaliers lombards lourdement armés pour mener à bien son périple, mais également le pardon pour sa fille de la part de son père. Il s'était en quelque sorte rangé à l'idée de ce mariage, à condition que sa femme négocie en sa faveur auprès des Belombreuse un certain nombre d'avantages en nature. Dans ses bagages, la Comtesse avait bien sur ramené divers trésors de sa région d'origine : bijoux, étoffes précieuses, capiteux parfums, bref de quoi faire du mariage de sa fille une cérémonie somptueuse. Même quelques domestiques faisaient partie du lot, dont la camérière qui l'assistait présentement.

Colombe jeta un coup d'oeil au lourd manteau bordé d'hermine que lui tendait cette dernière. Fallait-il s'affubler d'un tel fardeau supplémentaire ? Après tout, elle se trouvait déjà suffisamment bien comme ça. Et puis, même s'il n'avait pas de manches, on était en été. Aucune comparaison avec les touffeurs du sud bien sur, mais la journée s'annonçait belle et ensoleillée. La jeune italienne qui la secondait insista devant son hésitation : elles en avaient déjà parlé auparavant. Ici, c'était la coutume. L'étalage de fourrures était une marque de puissance et de richesse. Elle se devait de passer cette pelisse par dessus ses superbes atours. Elle s'exécuta, se consolant en pensant à son futur mari qui, tout comme elle, devrait se plier à cet usage, et elle se l'imaginait déjà en train de suer à grosses gouttes durant la cérémonie : charmant tableau !

Et pour ce qui était d'Hernaut, elle était proche de la vérité. Celui-ci, quelques tentes plus loin, venait de mettre un point final à sa tenue en se coiffant d'un chapeau orné de plumes blanches, et il avait lui aussi endossé le manteau d'hermine sans se préoccuper du temps qu'il ferait. Canicule ou pas, il savait tenir son rang, et entendait bien se montrer comme l'un des héritiers d'un des comtés les plus en vue du royaume franc. D'ailleurs, il avait pour le moment d'autres préoccupations. Il s'était préparé pour la cérémonie en compagnie de son écuyer enfin retrouvé : en effet, Colin était miraculeusement réapparu, faisant partie de l'escorte de la Comtesse.

Pour dire la vérité, lorsque son maître lui avait ordonné de retourner au village afin de chercher de l'aide, le jeune homme n'avait réussi à convaincre personne, tellement les habitants de la région prenaient au sérieux les menaces qu'étaient censées représenter Anthèlme le Noir. Alors, il avait pris la décision de revenir seul sur ses pas, et de faire tout son possible pour tirer d'affaire son Seigneur et sa belle. Mais l'antre du Noir était déjà désertée depuis longtemps et, après être tombé sur le corps décapité du sorcier, il quitta les lieux, à la recherche de traces éventuelles. Ce fut à proximité de la grotte qu'il découvrit, au milieu d'un fouillis d'empreintes gravées dans le sol mou, l'indice du passage d'Hernaut, ou tout du moins de son cheval, dont il savait que l'un des antérieurs droits avait perdu la ferrure. Ce simple détail lui permit de suivre la piste de l'animal jusqu'au delà du Rhône. A partir de là, il en perdit la trace, et erra quelques jours durant dans une ville inconnue, hésitant à poursuivre son chemin en direction du nord. Puis il finit par opter pour un retour à Milan. Et ce fut sur ce chemin de retour, bien avant de rejoindre l'Italie, qu'il rencontra la Comtesse et son escorte. Cette dernière l'informa que sa fille était bien arrivée à destination, et que le mariage allait finalement avoir lieu. Aussi Colin se joignit-il à leur troupe, et c'est de cette manière qu'il retrouva Hernaut, et découvrit à son tour ces horizons aux limites du royaume.

Quelques secondes auparavant, dans la tente qui avait été dressée spécialement pour les préparatifs du mariage,car à cette époque peu d'églises avaient été encore bâties et les cérémonies nuptiales se déroulaient pour la plupart en plein air, les rires de toute cette jeunesse se faisaient entendre à travers la campagne.

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