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dimanche 13 novembre 2011

Chapitre 18 : Lourdes pertes

Depuis quelques jours déjà, Guilhem faisait toujours ce même cauchemar : il était à Jérusalem et marchait dans les rues de la ville, flanqué de la présence fidèle du Balafré. La cité, écrasée de soleil, semblait déserte. Ils s'arrêtaient devant un lieu de culte musulman et y pénétraient. Dès l'entrée, un spectacle abominable se dévoilait devant leurs yeux incrédules. Le sanctuaire était encombré de cadavres, ou tout du moins de ce qui pouvait en rester, car la plupart d'entre eux étaient atrocement mutilés. Des flots de sang les assaillaient de toutes parts, comme une marée immonde. Ils y pataugeaient tous les deux jusqu'aux genoux. Là, invariablement, Guilhem se réveillait, haletant et le corps couvert de sueur. Cette scène, elle lui avait été décrite par des chevaliers qui l'avaient réellement vécue à l'époque de la mise à sac de Jérusalem. Il n'avait certes pas lui même connu ce genre d'expérience, enfin, pas à ce point. Mais tout ce qu'on lui avait relaté à ce sujet l'avait définitivement marqué. Il pensait avoir relégué cette sombre histoire au plus profond de son subconscient, et cela, au début, avait été surement vrai. Mais, depuis, quelqu'un avait ramené à la surface de son être des choses qui étaient restées ensevelies depuis des lustres, déclenchant en lui tout un cortège d'images plus horrifiques les unes que les autres, le traumatisant irrémédiablement. L'homme auquel il avait été confronté, ou livré, tel était plutôt le mot exact, sous des dehors innocents, avait en lui tant de puissance maléfique qu'il finissait par vous retourner, faisant voler en éclat toute l'intégralité de votre personnalité. Ses yeux gris à l'expression si douce cachaient avec tellement d'habileté tant d'intrigues perverses qu'il s'y était laissé prendre comme tous les autres, baissant la garde au bout de quelques jours pour se retrouver finalement pris au piège dans les rets qui lui avaient été tendus. Et maintenant il en souffrait autant que s'il avait été atteint dans sa chair même. Mais cette souffrance, il la portait en lui tel un insidieux poison. Il y avait néanmoins, d'après ce que lui affirmait le même homme, quelque part une porte qui pouvait s'ouvrir à lui, le libérant définitivement de ses tourments. Il suffisait pour cela qu'il parle, qu'il verse dans l'oreille attentive qu'il avait quotidiennement devant lui les mots adéquats, ceux qui relataient l'histoire d'un certain parchemin. Mais ça, il ne pouvait s'y résoudre. Il savait que même s'il avouait, les plaies de son âme ne se refermeraient pas. Personne ne serait là pour les panser. Alors il préférait garder son mal pour lui, et les cauchemars reprenaient de plus belle, venant le torturer chaque nuit comme une paire de tenailles qui lui aurait broyé les chairs. Et, en surimpression à ses terreurs nocturnes, un nom apparaissait en lettres de feu, plus brûlant qu'un brasier, celui de Guillaume Messonnier.

Tandis que Guilhem luttait pour ne pas sombrer dans la folie au prieuré de Rochebonne, son escorte atteignait la Bourgogne sous des trombes d'eau. « Morbleu ! » Fit l'Ours. Et cette exclamation traduisait bien son sentiment présent.  « Si ça continue ainsi, ajouta-t-il, on va finir par pourrir sur pied. » Les trois chevaliers et leur dame avaient un aspect plutôt pitoyable sous l'averse incessante qui les accablait depuis leur départ de Mâcon. Les vêtements collés par la pluie, les cheveux plaqués sur leurs tempes, certains d'entre eux commençaient à ce régime à voir se réveiller de vieilles blessures ou d'anciens rhumatismes qu'ils avaient eu trop vite fait d'oublier. L'Ours souffrait de l'un de ses genoux, d'où son humeur de plantigrade harcelé qui était d'ailleurs bien dans le ton de son pseudonyme. Au Balafré un coup de lance, reçu au cours d'une embuscade non loin de Damas, se rappelait douloureusement à lui. Et Claire ruminait sa peine d'avoir abandonné Guilhem. Seul Mordrain, miraculeusement épargné par ce genre de soucis, caracolait en tête avec un moral pour quatre. Ce fut lui qui repéra le premier la masse d'une chaumière en bordure de route, et qui put déchiffrer l'enseigne que celle-ci arborait : « Une auberge ! » leur cria-t-il. Et il jeta un bref coup d'oeil à Claire, qui lui répondit d'un rapide hochement de tête. Visiblement, elle était exténuée, et la perspective de passer une nuit au sec était pour elle des plus attrayantes. C'est pourquoi il descendit de cheval et y pénétra seul afin de s'enquérir de la possibilité d'un gîte et d'un couvert. Lorsqu'il en ressortit, ce fut pour annoncer à ses compagnons de voyage qu'ils pouvaient enfin s'offrir la halte qu'ils espéraient tant.

La salle commune était peu fréquentée. Seuls quelques chalands et une poignée de pèlerins s'étaient arrêtés là, bien heureux de pouvoir profiter de la chaleur des lieux. Certains, surpris par les pluies qui n'en finissaient plus, s'étaient installés déjà depuis la veille et trompaient leur ennui en ripaillant et en jouant à des jeux de hasard à la lumière des chandelles qui parsemaient de leurs lueurs jaunâtres les lourdes tables en chêne qui ornaient la pièce. Et, bien que l'endroit fusse loin d'être rempli, des braillements et des clameurs se faisaient entendre au point d'envahir les lieux d'un bourdonnement permanent. Au fond, dans une grande cheminée, mijotait depuis des heures dans un chaudron un mélange de viandes et de légumes qui ne cessait, par l'intermédiaire de deux jeunes gens zélés, d'alimenter les écuelles tendues, tandis que l'aubergiste, un grand homme sec et efficace, faisait les cent pas sur le sol de terre battue, veillant à ce que ses clients aient toujours un pichet de vin bien rempli à portée de main. Les trois chevaliers venaient de dîner copieusement entre eux, Claire ayant préféré dès le début se cloitrer dans sa chambre, plus épuisée qu'affamée à l'heure présente. Et ils s'éternisaient à deviser autour de leurs gobelets d'étain. L'Ours, à peine arrivé dans les lieux, avait prit le temps de détailler dans cette ambiance claire-obscure chaque figure présente, dévisageant un à un tous les hôtes de cette salle. Et sa conclusion avait été catégorique : aucun moine dans les parages, aucun individu suspect, rien apparemment qui aurait du les inquiéter. « On dirait qu'il nous ont lâchés pour de bon », fit-il à l'adresse de ses compagnons, en revenant sur ses impressions premières. « Normal, répondit le Balafré. Ils détiennent Guilhem. Pour eux nous ne sommes que du menu fretin. Et il avait vu juste en confiant le... l'objet à Claire. » Tout de même, la prudence restait de mise en ces lieux publics, et ils continuaient de prendre certaines précautions pour parler de ce qui les préoccupaient. Mordrain vida d'un trait le fond de son gobelet, et fit mine de se lever du banc qu'il occupait. L'Ours le retint promptement par la manche. « Hé ! Dit-il. Où comptes-tu filer à cette heure ? La soirée n'est pas finie, à ce que je sache. On pourrait se divertir un peu, pour une fois. » D'un mouvement brusque, Mordrain se dégagea. « Lâche-moi, veux-tu, l'Ours ? Je remonte à l'étage. Nous avons laissée Claire seule là-haut, et même si tu n'as rien repéré de louche, moi, je reste sur mes gardes, et je ne tiens pas à ce qu'on nous l'enlève, elle aussi. » Son compère en face de lui repéra aussitôt la faille : « Il me semble que tu t'inquiètes un peu trop pour elle ces derniers temps », lui déclara-t-il tout de go, une lueur d'amusement dans ses yeux sombres. Mordrain, visiblement, ne trouva pas la réplique à son goût. Il le terrassa du regard. « Qu'est-ce que tu entends exactement par-là ?
_ Oh, rien de spécial. C'était juste une remarque comme ça...
_ Alors, tes remarques, tu peux les garder pour toi. » L'Ours, au vu de la réaction, trouva l'occasion trop belle. Il poursuivit : « Au départ, ce n'était qu'une simple remarque, effectivement. Mais le fait que tu réagisses de manière aussi sanguine laisserait à penser que c'est bien plus sérieux que ça n'en a l'air. » Mordrain, se dressant de toute sa taille, le défia alors, et sa voix, bien que maîtrisée, trahissait son énervement : « Ecoute-moi bien, l'Ours. Ici, il n'y a pas de rivière où tu pourrais espérer me noyer. Aussi ne rêve pas trop cette fois-ci de l'emporter sur moi au cas où je décide de relever le défi. » Ayant porté le coup qu'il voulait, le chevalier aux yeux verts fit un pas en arrière, décidé à les quitter pour de bon. Et puis, brusquement, il se ravisa. S'approchant de nouveau de l'Ours, il le regarda bien en face : « Et puis, si le fait que je me préoccupe de cette fille te pose un problème, après tout, dis-le moi une bonne fois pour toutes. » C'est alors que le Balafré, jusque-là impassible, se leva brusquement et, prenant Mordrain par les épaules, l'éloigna sensiblement de son acolyte. « Es-tu fou, Mordrain ? », dit-il suffisamment bas pour ne pas être entendu de toute la salle, dont il sentait les regards intrigués se braquer peu à peu sur eux. «  Tu veux vraiment nous faire repérer, ou quoi ? Tu ne vois donc pas qu'il plaisante ?
_ Plaisanter, lui ? Répondit l'intéressé dans un murmure. Tu es encore loin de le connaître, alors. » Et, sans plus insister, il leur tourna les talons, les plantant tous les deux là, au milieu de la salle, parmi les voyageurs qui, non sans quelques chuchotements à leur égard, s'étaient remis à leurs occupations du moment.

Le lendemain, les nuages chargés de pluie avaient laissé place à une éclaircie qui, même si l'éclat du soleil était encore loin de réchauffer efficacement la terre, avait au moins l'avantage de redonner aux voyageurs l'envie de reprendre la route. Mordrain était déjà dehors à les attendre, à la tête des chevaux, quand Claire et les deux autres chevaliers se décidèrent à quitter l'auberge. Il avait disparu depuis son altercation de la veille avec l'Ours, et ce dernier le soupçonna d'avoir été dormir dans les écuries, évitant ainsi de partager pour une fois le lit de ses deux comparses. Des brins de paille dans ses cheveux confirmèrent l'Ours dans ses suppositions. Ils n'échangèrent pas un mot entre eux, cette fois-ci, se contentant de se dévisager posément. Baldric savait que s'il ne remettait pas de l'huile sur le feu, cette brouille finirait par s'effacer avec le temps. Claire ne fut pas dupe. En chemin, elle remarqua bien que quelque chose n'allait pas. Ce chevalier, d'habitude si plein d'allant et d'éloquence, traînait un peu à l'écart, cette fois-ci sombre et semblant perdu dans ses pensées. Elle en fit part au Balafré, qui lui tenait compagnie depuis des lieues déjà. « Mais qu'a donc Mordrain ? Il semble si absent aujourd'hui, alors que le soleil brille. Hier, c'était tout le contraire, il me semble. Il était le seul à être de bonne humeur pendant que des trombes d'eau nous tombaient dessus.
_ Ce n'est rien, Damoiselle, répondit le Balafré. Une simple altercation entre l'Ours et lui. Il vaut mieux qu'ils s'évitent quelque temps au contraire, sinon ça risquerait de mal tourner. Cela leur arrive parfois, vous savez. Mais, qu'y faire ? Un jour ils s'entendent comme larrons en foire, et le lendemain sont comme chien et chat. »

La journée passa sans plus d'incident, mais leur progression fut considérablement ralentie car la boue des chemins, dans laquelle les sabots des chevaux s'enfonçaient et qu'ils retiraient avec peine dans un suçotement désagréable, les obligea à louvoyer quelque peu, sans compter les cours d'eau qui avaient débordé de leur lit, et qu'il fallait éviter ou traverser selon le cas. Quand le soir arriva, il fut évident qu'ils n'auraient pas le temps de se mettre à la recherche d'un lieu pour loger, que ce soit les portes d'un bourg, les lumières d'un village ou même une auberge ou une simple chaumière isolée. Ils s'étaient enfoncés dans des bois verdoyants et épais, et il n'en voyaient pas encore le bout. Des paysans ou des voyageurs, souvent occupés à désembourber leurs carrioles, rencontrés fréquemment en début de journée, il ne restait maintenant plus personne sur les chemins, et ils avaient la sensation d'être seuls au monde. L'Ours désigna un tertre un peu à l'écart de la voie qu'ils suivaient, planté de pins dont les aiguilles avaient recouvert le sol d'une épaisse couche. Là, ils pourraient s'arrêter pour s'y reposer. Le ciel n'était pas menaçant, et de toutes façons, ils n'avaient guère d'autres choix possibles. Le tertre était en contrebas d'une colline plus haute, et une coupe récente avait dégarni les flancs de celle-ci, réduite désormais à une lande rase. Ils en déduisirent qu'un village devait être bâti dans les environs, mais ils n'avaient pas le courage de chercher plus loin, et les ombres de la nuit commençaient à grignoter le jour. Claire avait réussi à dérider Mordrain, en se joignant à lui en cours de journée et en lui offrant le charme de sa conversation, qu'il semblait apprécier pour le moment plus que celle de ses compagnons d'armes. Après avoir entravés leurs chevaux dans une clairière d'herbes hautes à quelques pas de là, ils s'assirent sur le frais et moelleux tapis forestier qui embaumait la résine, et le Balafré apporta des peaux de loups, qu'il étendit par terre. Ils en auraient besoin pour dormir à la belle étoile, car l'humidité ambiante se faisait déjà sentir. Mordrain tendit à chacun des brins de menthe sauvage, qu'il prenait un plaisir évident à mâchonner. De toutes façons, ils n'auraient rien d'autre à se mettre sous la dent ce soir. L'Ours lui opposa un refus catégorique en grommelant dans sa barbe : « Tout juste bon pour les vaches, ça ! » Ce à quoi un sourire amusé découvrant des dents blanches et luisantes dans le crépuscule lui fut répondu. Et la nuit se répandit peu à peu sur eux comme une couverture épaisse.

Des heures s'étaient déjà écoulées lorsque Claire se sentit arrachée à son sommeil, et elle éprouva la sensation de deux bras solides qui la saisissaient avec fermeté, la soulevant de terre dans un mouvement énergique, tandis qu'elle percevait autour d'elle les premières lueurs de l'aube qui rosissaient l'horizon et qu'un grondement sourd se faisait entendre, accompagné de craquements et paraissant grandir de minute en minute. Elle vit le visage de Mordrain juste au-dessus du sien, et reçut en pleine face son haleine mentholée. Le chevalier l'avait enlevée dans ses bras et, malgré la charge, courait à perdre haleine entre les troncs des pins. A ses côtés, elle devina la course identique d'un autre homme, qu'elle ne put identifier. Elle cria, comme prise de panique. Mordrain freina subitement, et la déposa avec légèreté dans l'herbe. Ses pieds nus foulèrent un instant le sol humide. Le bruit avait atteint une intensité tout juste supportable. Elle eut à peine le temps de chercher dans les yeux de son compagnon la raison de tout ce tintamarre que, sans se donner le répit de reprendre son souffle, il la saisit par la main et l'entraîna plus avant, essayant visiblement de mettre le plus de distance possible entre eux et l'origine du bruit. Leur course prit fin après quelques minutes, lorsque le chevalier se retourna enfin pour évaluer l'ampleur du désastre. Elle comprit alors, en regardant dans la même direction que lui, ce qui s'était passé. Une coulée de boue avait balayé le bois de pins dans lequel ils s'étaient réfugié, et rien dès lors n'aurait pu arrêter les tonnes de terre qui dévalaient devant leurs yeux effarés. De longs moments s'écoulèrent, sans qu'ils puissent s'arracher à ce spectacle terrible et stupéfiant que leur dévoilait les premières lueurs du jour. Et le grondement commença à décroitre lentement, tandis que les troncs, balayés comme de vulgaires échardes de bois, continuaient leur descente dans des éclatements et des grincements sinistres. Mordrain vérifia la présence de L'Ours à ses côtés et les regards des deux hommes essoufflés se croisèrent durant quelques secondes. Puis, lâchant la main de Claire, il lança un appel qui couvrit un moment le raffut décroissant de la forêt brisée : « Balafré, où es-tu ? » Son cri fut repris par l'Ours et ils répétèrent à maintes reprises le nom de leur camarade, mais seuls la terre et les arbres leur répondaient à chaque fois, à leur façon. Mordrain s'adressa à l'Ours entre deux appels : « Pourtant, j'étais certain qu'il nous avait suivi.
_ Peut-être est-il de l'autre côté ?  Suggéra Baldric. Nous devrions attendre un peu que cela cesse et aller voir là-bas.  Il est fort probable que, pour le moment, il ne puisse pas nous entendre. » Alors, tout en guettant le moindre signe de vie, ils laissèrent la terre s'apaiser peu à peu, et ce fut seulement lorsque le silence eut repris possession des lieux que, tout en lançant de sonores appels, ils se dirigèrent à nouveau vers l'endroit où ils avaient dormi. Au passage, ils réussirent à ramener l'une de leurs montures, lesquelles avaient sans peine brisé leurs entraves, et s'étaient égaillées dans les bois. Il serait bien temps plus tard de partir à leur recherche. Pour l'instant, seul le Balafré comptait à leurs yeux. Lorsqu'ils arrivèrent sur les lieux, plus rien n'était reconnaissable. Seule une gangue d'argile fraîche d'une couleur indéfinissable, d'où sortait des centaines de branches, de troncs et de feuilles mêlées s'étalait devant eux. Mordrain prit son courage à deux mains et, ôtant ses bottes, pénétra à pas lents dans la marée boueuse. Il fut bientôt suivi de son compagnon. Claire les attendit, comme pétrifiée, en lisière du marasme. Elle ne connaissait que trop ce genre de phénomène. Trop de coupes d'arbres, jointes à de fortes pluies, avaient vite fait de vous réveiller la terre et de la rendre aussi dangereuse qu'un torrent en furie. Elle réalisa soudain que le parchemin, avec lequel elle dormait, avait sans doute été emporté par la vague glaiseuse. Mais elle ne pouvait se lamenter sur cette perte. Pour elle, malgré ce que lui avait dit Guilhem, c'était la vie de ces hommes qui comptait avant tout.

Il furent vite hors de vue, mais leurs cris, poussés par intervalles, la renseignaient surement sur leur position. Et puis, à un moment donné, plus rien. De nouveau ce silence de mort qui vous prenait à la gorge en faisant monter l'angoisse. C'est avec soulagement qu'elle les vit réapparaître, mais ils étaient seuls et, à voir leur air à tous les deux, empreint de gravité et de tristesse, elle comprit alors qu'il n'y avait plus d'espoir. « Il est mort, dit Mordrain. Il a été emporté par la colline. Seule une de ses mains dépasse de ce tas de boue.
_ Nous allons lui donner une sépulture décente, ajouta l'Ours. Cela prendra le temps qu'il faudra de l'extirper de là, mais il nous faut le faire. »

Ce ne fut qu'après plusieurs heures qu'ils se retrouvèrent tous les trois autour de la sépulture improvisée du Balafré, monticule de pierres sensé le protéger des bêtes sauvages, surmonté d'une simple croix de deux branches liées. Ils l'avaient enterré avec ses armes et son équipement complet de chevalier, comme s'il était mort au cours d'un combat. Ils prirent le temps de se recueillir devant lui et, lorsqu'ils eurent fini de lui rendre hommage, l'Ours se détourna et partit de son côté à la recherche des chevaux échappés. Claire se retrouva seule avec Mordrain. Elle quêta dans ses yeux verts une étincelle de révolte et d'espoir, comme elle lui avait souvent vu au cours de leur périple. Mais elle n'y trouva qu'une infinie tristesse. Alors elle mit sa main droite dans les siennes. Mordrain, l'air absent, la porta à ses lèvres et y déposa un fugace baiser. Et puis, ce fut tout. Se détournant d'elle, il alla rejoindre l'Ours dans sa quête de chevaux. Mais Claire eut l'intuition de ce que cela signifiait. Mordrain venait de lui parler en langage codé. Celui des cours princières de l'Occident. Certes, il savait qu'elle ne pouvait tout comprendre, n'étant pas de son monde. Mais il comptait bien lui expliquer un jour tout ce que cela impliquait.

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